Commentaires

 

La différence des philosophie

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La différence des philosophies, telle que la révèle le fait incontournable pour la philosophie d'avoir une histoire, se présente alors sous le jour nouveau d'une épreuve, qui a inévitablement valeur d'une épreuve de vérité, d'une épreuve pour la vérité. Il faut ici citer G. Boss, qui, dans son grand livre sur Hume et Spinoza a entrepris, au lieu de considérer cette différence des philosophies de l'extérieur, de la pénétrer en son cœur même, de manière à en faire une véritable expérience philosophique : (…)

La parole définitivement plurielle de la philosophie, dans la mesure où elle accepte de se mesurer à son histoire, s'engage dans une sorte d'entretien perpétuel, ou, comme dit encore G. Boss, de « dialogue infini », et obéit ainsi à une logique essentiellement polyphonique qui fait se croiser tant de voix sans les confondre, parce qu'elle a renoncé à les assimiler dans un discours unique dont la valeur de vérité serait admise et avérée une fois pour toutes. Et ce qui est éternel dans la pensée philosophique, ce serait précisément ce débat qu'elle entretient en permanence avec elle-même. Nous nous demandions tout à l'heure si, en se laissant emporter dans le mouvement de son histoire, et en situant dans celui-ci ses véritables enjeux, la philosophie ne se condamne pas à être ramenée au rang d'une simple croyance, d'une collection d'opinions sans fondement objectif ; dans la perspective où nous nous plaçons à présent, nous voyons que l'histoire et sa connaissance apportent simultanément le mal et son remède : si, du fait de son historicité, la philosophie se produit comme croyance, ne pouvant comme telle accéder qu'à une légitimité momentanée, elle se donne par là même les moyens de se mettre à l'épreuve d'elle-même, en considérant ses propres convictions d'un nouveau point de vue qui l'empêche d'y adhérer trop étroitement, comme si elle était condamnée par la puissance interne de ses principes à les adopter. Aucune naïveté philosophique ne résiste à l'exercice de cette confrontation permanente avec d'autres figures spéculatives, qui installe et maintient le travail de la pensée philosophique dans son régime de plus haute tension. Par une ironie féconde, une telle histoire, loin de rejeter cet exercice de la pensée du côté d'un passé révolu, l'anime au contraire d'une volonté d'aller au-delà de ses formes déterminées de systématicité, pour affronter l'Inconnu, et penser l'Impensé, en sachant que, précisément parce qu'ils sont l'Inconnu et l'Impensé, elle ne les appréhendera jamais comme tels par un acte de possession qui leur ôterait leur caractère d'Inconnu et d'Impensé.

Pierre Macherey, « Entre la philosophie et l’histoire : l’histoire de la philosophie », La philosophie et son histoire, Zurich, Grand Midi, 1994, pp. 28-30.

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La Québécie

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Pour définir la « sociabilité de base », c’est-à-dire ce qui fonde, d’une manière anthropologique, l’être-ensemble fondamental, j’ai proposé l’expression « centralité souterraine ». C’est quelque chose de cet ordre que l’on retrouve toujours dès que l’on veut approcher ce que Durkheim appelait le « caractère essentiel » d’une culture spécifique. Nombreux sont les exemples plaidant en ce sens. Je ne relève ici que celui proposé par un petit conte philosophique intitulé La Québécie, et qui s’emploie, à partir de ce que pourrait être l’essence du Québec, à montrer que c’est une chose spirituelle, bien ténue, qui permet aux « Québéciens » de résister, souterrainement, aux conséquences de l’invasion par la culture marchande américaine.

L’analyse est subtile. Les digressions réflexives sont toutes pertinentes, et montrent bien que ce qui fonde la résistance vis-à-vis de l’hégémonie du modèle utilitaire américain et de la rationalité est, justement, la capacité d’affronter ludiquement et collectivement le destin. Hasard, aventure, sens du tragique, vénération de dame Fortune, sont les ingrédients majeurs de la « rêverie » en question qui ainsi s’apparente à toutes les utopies, faisant ressortir le pivot central à partir duquel se structure l’âme d’un peuple.

Michel Maffesoli, L’Instant éternel — Le retour du tragique dans les sociétés postmodernes, Paris, Denoël, 2000, p. 126-127.

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Voyons donc, en analysant une utopie contemporaine, comment celle-ci évite les reproches couramment adressés aux utopies. La Québécie de Francine Lachance est une des seules utopies positives de ce siècle. C'est en effet avec Le jeu des perles de verre de Hermann Hesse une des rares descriptions d'un monde idéal écrites depuis le début du siècle. L'ouvrage de Francine Lachance est doublement intéressant. En effet, non seulement il décrit un monde idéal, mais il n'en revient pas pour autant aux utopies traditionnelles. Il tient au contraire compte des critiques qui ont été adressées aux utopies et tente d'y répondre. Il ne s'agit pourtant pas d'une oeuvre théorique, mais bien d'un roman utopique.

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Mais l'ouvrage affine pourtant encore l'idée de l'utopie. On est déjà passé de l'idée d'une recherche théorique objective d'une société idéale - ce qui est l'attitude de la plupart des utopies - à celle d'une tentative de réinstaurer ce monde idéal par une résistance à la société actuelle. On fera encore un pas de plus au fil des pages. L'idée de l'utopie continue à se transformer : il ne s'agira plus désormais pour les "résistants" de rétablir la société idéale passée, mais de transformer leur propre mentalité afin de devenir des Québéciens au sein du monde tel que nous le connaissons. L'utopie n'est plus ni une société idéale théorique, ni une société idéale à réaliser, mais une mentalité différente à adopter dans la vie de tous les jours. C'est ce dernier pas qu'on ne retrouve à ma connaissance dans aucune des autres utopies qui permet à La Québécie d'échapper aux principales difficultés des utopies.

Anne Staquet, "Les paradoxes de l'utopie. L'utopie au XXe siècle", L'utopie du lieu commun, in Cahiers Internationaux de Symbolisme, no 95-96-97, Mons, 2000, p. 137 et p. 141.

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Utopies: Nouvelles de Québécie : http://utopies.sort.ch

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Jeux de concepts

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Gilbert Boss, La philosophie, le livre, l'ordinateur, http://www.gboss.ca/livreordinateur.html

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Isabelle Guay, Éthique et activité esthétique - La philosophie dans le labyrinthe des Jeux de concepts, une oeuvre sur ordinateur de Gilbert Boss, http://artsphilo.ca/ethique_act_esthetique.html/

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L'utopie ou les fictions subversives

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Gilbert Boss, Humour, utopie, science, http://www.gboss.ca/humour_utopie.html

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